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CHAPITRE DOUZIEME - Le Prophète de la Lune

"Les rayons du jeune soleil réchauffaient le paysage rocailleux, donnant aux pierres des teintes chatoyantes. Les aventuriers savaient que d’ici quelques minutes, lorsqu’ils seraient passés sous la Lune, l’obscurité retomberait. Ils savouraient donc cette lumière bienvenue qui ne durerait pas. Pendant la marche, Krysos parla en pensée à Beryl du songe qu’il avait eu dans son délire. Il essaya d’envoyer ses images mentales à son frère, en vain, et tenta alors de les décrire. Beryl resta étrangement silencieux, ne trouvant aucune explication à ce que Krysos avait vécu. Pourtant, celui-ci sentait que son frère se retenait délibérément de répondre, comme s’il lui cachait quelque chose, et il n’aimait pas cela. L’idée que Beryl puisse avoir des secrets était une nouvelle conception pour lui. Peut-être était-ce cela, grandir ?

 

Beryl marchait allègrement sur les sentiers pierreux grâce aux nouveaux vêtements qu’Alexandre lui avait procurés. Avant de quitter le Bois du Soleil, les Gardiens des Gemmes avaient fait une halte dans une grande bâtisse qu’Alexandre avait présentée comme lui appartenant. Ils ne s’y étaient pas attardés, mais le vétéran avait eu le temps de ramener à Beryl une tenue de voyage plus confortable. Elle se trouvait constituée d’une tunique et d’un pantalon court légèrement moulant dans des tons de blanc et de noir, ainsi que de bottes montantes. Alexandre avait prétendu que ces effets étaient autrefois la propriété de son fils. Krysos n’avait jamais vu son frère porter ce genre de vêtements et il lui parut tout d’un coup beaucoup plus âgé...

 

L’ombre de la Lune tomba sur eux comme une chape, et avec elle une nouvelle fraîcheur venue des Monts Circulaires. La neige piquetait de blanc les cimes les plus lointaines. Les jumeaux connaissaient la neige, car les Pics Volcaniques s’en couvraient parfois en hiver, mais elle ne durait jamais. La vue de cette blancheur lointaine et permanente qui tenait toute l’année leur était étrangère. Quelles créatures monstrueuses pouvaient bien receler ces montagnes ?

 

Le monumental portail se découpa sur la clarté lunaire, aussi inébranlable et étrange que dans leur souvenir. Son métal ciselé, gravé de runes, les mettait au défi de résoudre ses énigmes. Krysos sortit la clef de sa poche et la plaça devant son visage, entre lui et l’obstacle à franchir. Comment cette mince petite feuille métallique pouvait-elle ouvrir quoi que ce soit ?

 

Chacun tenta sa chance, sans succès ; en la plaquant contre la paroi, en essayant de déchiffrer des indications, en comparant les symboles de la porte et de la carte. Rien n’y fit, elle restait close. Déconcerté, Syen jeta au loin l’artefact visiblement inutile. Alexandre força son Don à se manifester afin de lui montrer la marche à suivre, mais échoua.

 

Beryl se pencha pour ramasser la clef et l’examina avec attention, en la tournant dans tous les sens. Amber se gaussa :

 

― Si les prêtres élémentaires n’ont pas trouvé comment ça marche, je doute que tu y arrives, petit bout de chou !

 

Mais le muet ne l’écouta pas. Il se dirigea vers le portail et en parcourut la surface de la paume. Il semblait chercher quelque chose de particulier. En tâtant le côté gauche de la porte, il stoppa soudain son geste et un grand sourire éclaira ses traits. Il prit la carte bien en main et, sans aucune explication, devant les regards médusés de ses compagnons, l’introduisit dans le métal, à la verticale, comme une vraie clef. Celle-ci fût aussitôt happée avec un petit sifflement, et alors il se passa quelque chose d’extraordinaire.

 

Toute la surface s’illumina. Les runes étrangères qui la recouvraient brillèrent d’une lumière blanche, les unes après les autres, dans un ordre et un rythme précis ; des sons musicaux s’enchaînèrent en une mélodie simple, mais qui semblait venue du fond des âges. Beryl s’écarta en se tenant les mains, comme interloqué de ce qu’il avait provoqué. Lentement, les Gardiens des Gemmes se remirent sur pieds, espérant que la danse folle des lueurs se calme et révèle son but.

 

― Beryl, qu’as-tu ? débuta Krysos.

 

Dans un hurlement métallique assourdissant, les lourds battants commencèrent à bouger, faisant trembler le sol sous eux. Au loin, des oiseaux s’envolèrent en croassant, dérangés par ce soudain vacarme. Les compagnons se tinrent les uns aux autres afin de ne pas tomber, attendant que tout se stabilise. Le passage ainsi dégagé ne se révéla pas être un simple chemin horizontal creusé dans la roche, mais un tunnel qui plongeait dans la terre. Sur les côtés de la vaste ouverture, des bouquets de cristaux verts semblaient monter la garde. Les aventuriers recommencèrent à respirer et s’avancèrent vers le souterrain.

 

― Beryl a gagné sa place de Gardien des Gemmes, je vous le dis ! s’exclama Amber.

 

— Comment as-tu deviné, Beryl ? l’interrogea Krysos.

 

Les explications de son frère se firent vagues. Il comprit avec confusion que quelqu’un le lui avait expliqué, mais n’en saisit pas davantage. Krysos se posait encore plus de questions sur la situation étrange dans laquelle ils se trouvaient tous et dont Beryl avait découvert la solution, manifestement avec une aide extérieure qu’ils ne connaissaient pas.

 

― Nous en parlerons plus tard, intervint Syen. C’est ouvert, alors que faisons-nous ? Nous... y allons ?

 

Sa voix exprimait sans aucun doute possible une réticence, partagée par ses compagnons. Il s’empara de la lance dont il s’était servi sur la place Safranivéenne de SolaPiair et la pointa devant lui. Agata, armée de son arc, se prépara à viser dans l’obscurité à la moindre menace. Même Sappir semblait sur ses gardes. Krysos dégaina son épée de feu, saisi lui aussi par la crainte, mais n’en oubliant pas pour autant son sens pratique ; la lame s’enflamma et illumina quelques marches qui descendaient dans le roc.

 

― Ne vous éloignez pas trop de moi, indiqua Krysos, nous ne connaissons pas la configuration des lieux...

 

Il sentit avec une profonde satisfaction la main fine d’Amber se crisper sur son bras.[...]"

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