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CHAPITRE SEIZIEME - La Ballade du Solitaire

"Les Gardiens des Gemmes dévalèrent les pentes des champs du Sud avec entrain et bonheur, abandonnant derrière eux la forêt de Fayal et ses légendes. Alexandre cependant, traînait un peu les pieds et jetait fréquemment des coups d’œil en arrière comme pour guetter la silhouette de la jeune femme qu’ils avaient laissée. Personne ne lui posa de questions, chacun comprenant qu’il s’agissait là d’un secret que le vétéran n’était pas prêt à révéler. Il avait perdu ― ou retrouvé â€• une partie de lui à Fayal...

 

Perrydo et Cornaline, qui ne connaissaient pas ce coin du monde, couraient follement en avant, enchantés par la vue des fleurs sauvages. Ici, rien ne semblait avoir bougé depuis le dernier passager des jumeaux ; l’herbe demeurait toujours aussi verte et l’air doux, aux senteurs de mer. Ils réalisèrent alors que quoiqu’il puisse arriver sur cette planète, même si la guerre éclatait et que l’humanité disparaissait, certaines choses resteraient immuables... Mais le danger ne se limitait plus à cela ; si la Lune tombait sur Zyrconia, toute cette beauté, capable pourtant de survivre aux plus grands événements, succomberait également. Beryl trembla un peu et Galen vint se frotter contre sa joue.

 

Krysos reconnaissait la route jusqu’à Krysopras, et bien qu’il ne soit pas le seul, il mit un point d’honneur à guider la troupe vers le nord-ouest. Il éprouvait un plaisir non feint à montrer qu’à partir de maintenant il connaissait son chemin, lui qui s’était toujours laissé conduire par les autres jusqu’à présent. C’est alors qu’il réalisa autre chose ; sans ses amis, Beryl et lui n’auraient jamais réussi à traverser toutes ces épreuves, à trouver un trajet sûr parmi les périls de Zyrconia. Était-ce là le rôle que le destin leur avait assigné ? Devaient-ils être des guides tout autant que des protecteurs pour eux ? Krysos les remercia silencieusement de leur présence, du choix qu’ils avaient fait de les accompagner. Car les jumeaux avaient-ils eu seulement la possibilité de refuser ? Que se serait-il passé si un seul d’entre eux s’était retiré de l’aventure ? Krysos se força à ne plus y penser.

 

Lors de leur premier voyage, les deux frères avaient longé la mer afin de ne pas se perdre, mais à présent, couper à travers champs en suivant les routes à peine jalonnées leur semblait un jeu d’enfant. Lorsque le soir commença à tomber, ils montèrent le camp. Ils se trouvaient alors à quelques kilomètres de Fayal. Le souvenir de la nuit forestière restait dans leurs esprits, mais ils lui préféraient la vue des étoiles. Même la Lune leur paraissait bienvenue, bien qu’elle leur rappela à chaque instant le compte à rebours inconnu qui pesait sur le monde.

 

À la lueur du feu de camp, le jeune Vanadin continuait à lire, imperturbable. Il ne parlait que rarement, comme s’il tentait de faire oublier sa présence. Amber trouva cette obsession de la lecture plutôt étrange, et voulut engager la conversation en s’asseyant à côté du garçon.

 

― C’est le volume de Jade, non ? demanda-t-elle en observant par-dessus son épaule. Tu as déjà dû le finir, pourquoi le lis-tu encore ?

 

Vanadin la regarda distraitement, juste une demi-seconde, avant de replonger dans son ouvrage. Ses yeux bougeaient à grande vitesse.

 

― Tu préfères tes livres aux humains, c’est ça ?

 

Cette fois, elle retint vraiment l’attention de Vanadin, et le garçon interrompit son travail intellectuel.

 

― Les gens ne sont pas intéressants, lui répondit-il, un peu agacé de devoir s’expliquer. Leur mémoire est défaillante et ils sont mortels. Les livres, eux, ne se trompent jamais et sont immortels.

 

— C’est pourtant bien agréable de bavarder avec quelqu’un de temps en temps. Un objet ne peut pas discuter avec toi.

 

— Ils n’en ont pas besoin, ils ont toutes les réponses à toutes les questions.

 

— Tu en parles comme s’ils étaient vivants. Mais ils ne le sont pas.

 

— Je m’en moque. Je n’aime pas discuter, je préfère lire. Les livres au moins me fichent la paix.

 

— Je comprends ton point de vue. Moi aussi j’étais comme toi auparavant.

 

Vanadin la scruta comme pour tenter de discerner le mensonge en elle.

 

― Oh, je n’étais pas autant passionnée de lecture comme toi, mais dans mon métier, j’ai été amenée à prêter l’oreille à beaucoup de personnes intéressantes. J’ai entendu des tas d’histoires, et à un moment, je me suis aperçue que j’attachais bien plus d’importance à ces récits qu’aux gens qui me les racontaient. Cette constatation m’a fait peur. Et pourtant, les humains sont si passionnants que j’avais beau écouter la même légende contée un millier de fois, elle était toujours différente. Ce sont les hommes qui font les légendes et qui les rendent vraiment captivantes, tu comprends ?

 

Vanadin replongea dans l’opuscule de Jade. Amber ne voulait pas l’importuner davantage, mais elle ne put retenir une dernière remarque :

 

― Tu sais, ces livres que tu aimes tant... ils sont aussi des créations humaines. Sans eux, aucun n’existerait.

 

Le jeune garçon n’eut rien à lui répondre.

 

― Tâche de ne pas l’oublier !

 

Elle ne put constater les conséquences de sa tirade sur Vanadin, mais il ne tarda pas à ranger son ouvrage pour aller se coucher.[...]"

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