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CHAPITRE SIXIEME - L'Ire de L'Océan

"Les marins suaient à grosses gouttes sous le soleil de plomb en transportant les pesantes caisses et les tonneaux dans le ventre du navire. Ce qu’ils pouvaient bien contenir, aucun ne le savait, mais ils étaient rudement lourds. En les balançant mollement, on pouvait entendre comme un léger bruit de roulement à l’intérieur, comme de gros grains de céréale glissant les uns contre les autres.

 

Les hommes du port allaient et venaient dans la cale, une cale vraiment étrange, encombrée de tout un tas de poutrelles métalliques qui se croisaient et s’entrecroisaient à l’intérieur de la coque, tout aussi insolite elle-même… Personne ne posait de question, on les payait pour cela, et de toute façon l’eussent-ils fait qu’ils n’auraient sans aucun doute pas compris la réponse. C’était un bateau d’un nouveau genre, voilà tout, fait pour affronter les redoutables récifs des côtes d’AguaMarina ; le fruit de plusieurs années de recherches de l’Empire en matière de métallurgie et de minéralogie. Aucun de ces braves ouvriers n’aurait craché sur son salaire pour satisfaire sa curiosité.

 

Un seul des hommes présents sur le pont savait ce que représentait cet impressionnant édifice flottant, et les sacrifices qu‘il avait coûtés... Sa cape dorée ondoyait au vent et son visage était à moitié masqué par la visière de son casque d‘argent, aux délicats entrelacs d’or. Il caressait d’une main lente la barre en bois précieux, sous les yeux du capitaine silencieux qui attendait les ordres. Son regard semblait perdu dans de lointaines pensées, ou de vagues souvenirs, tandis qu’il songeait à ce qui allait peut-être se produire si cela se passait mal là-bas… Il pensait aux morts inévitables, à la destruction, à la peur, à la haine… Il voulut chasser ces idées noires de son esprit, mais la réminiscence d’autres cadavres, d’autres cris et ruisseaux de sang s’imposa alors à lui… Il les dispersa momentanément d’un revers de main mental.

 

Le commandant, derrière lui, s’agita un peu et se décida enfin à lui parler :

 

― Général Wavell, les hommes ont fini de charger la cale, devons-nous appareiller ?

 

Le dénommé Wavell tourna son visage vers les voilures bleues et grises du bateau, encore ferlées, frappées au blason d’Akroïth, et prit une grande bouffée d’air avant de répondre :

 

― Allez-y, capitaine, c’est vous qui commandez sur ce navire, donnez l’ordre quand vous le jugerez bon.

 

L’interpellé se retourna donc vers ses matelots :

 

― Levez l’ancre, déployez les voiles, cap au nord !

 

Un fort vent du sud souffla immédiatement. Le vaisseau commença à se détacher des docks impériaux dans un fort bruit métallique qui se fit entendre dans tout le port et s’arrêter momentanément les joyeux visiteurs des rues marchandes.

 

Le monstre flottant s’éloigna sur la mer, inconscient des passagers clandestins qu’il transportait dans son ventre... [...]"

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