top of page

CHAPITRE QUATORZIEME - L'ÃŽle de l'Etikiz

"La forêt clairsemée ne laissait guère de cachettes possibles à un gros animal. Cependant, les Gardiens des Gemmes qui avaient continué leur route restaient sur le qui-vive. Agata scrutait les airs afin de s’assurer que leur ennemi ne viendrait pas d’en haut. Aucun pépiement d’oiseaux ne se faisait entendre dans les branches. Et plus ils approchaient du pied du volcan, plus le silence devenait assourdissant. Même le vent ne jouait plus dans les ramures des arbres. La terre semblait endormie ou trop terrifiée pour se manifester.

 

Ils arrivèrent en vue des premières cavernes qui s’ouvraient à la base de la montagne située au nord de Kurnako. En fin stratège, Alexandre répartit les compagnons en groupes de façon à aborder le lieu sur plusieurs points. Lui et Perrydo repérèrent les reliefs d’un repas pris récemment ; des os, mais aussi des paniers et des plats vides. Les offrandes des Kurnakovites avaient bien profité à l’aya. Mais ce qui intrigua davantage l’ancien capitaine fut la façon dont la bête avait pu transporter la nourriture jusqu’ici... ainsi que la présence d’un foyer, à peine froid, bien disposé par des mains humaines, à proximité...

 

― Les hommes se risquent-ils jusque là ? demanda-t-il à Thuli.

 

— Pas depuis que l’aya s’y promène, en tout cas je ne l’ai pas entendu raconter...

 

— Peut-être une tribu isolée vit-elle ici..., hasarda Perrydo.

 

— Quoiqu’il en soit, restons vigilants. Quelque chose me dit que cette affaire n’est pas claire...

 

Les cavernes n’étaient que de larges arches de pierre surplombant de leur ombre un chemin qui serpentait jusqu’au sommet du volcan. Certaines étaient si grandes et profondes qu’elles donnaient l’impression de vastes grottes sombres. Ici et là, des petites mares tranquilles reposaient sous le chaud soleil. Mais aucun batracien ne s’y baignait, et aucun insecte ne bourdonnait au-dessus de l’onde. Encore une fois, le silence les saisit ; et Amber voulut le mettre à profit.

 

― Il y a tellement peu de sons naturels que si notre ennemi se déplace, je l’entendrai sûrement.

 

Elle se posta sur un rocher et tendit l’oreille alors que ses compagnons se risquaient dans l’ombre des arches. Syen et Krysos se dirigèrent vers une mare plus grande près de laquelle Amber leur avait indiqué le bruit d’une pierre tombant dans l’eau. Thuli suivait Agata comme son ombre, moins imposante néanmoins que celle de Sappir qui veillait sur sa prêtresse-mère.

 

Des cercles concentriques se dessinaient effectivement à la surface de l’étang. Mais aucune trace d’un quelconque animal. Alexandre et Perrydo rejoignirent leurs amis à côté du plan d’eau. Quelque peu découragé, le vétéran avait rengainé son épée.

 

― Vous voyez quelque chose ?

 

— Non, rien. Pourtant, un caillou est bien tombé à cet endroit...

 

Alexandre soupira et, ce faisant, il s’approcha un peu de la paroi d’une arche afin de s’y appuyer. C’est alors qu’il perçut la présence... Un souffle doux, mais profond palpitait dans son dos. Il avait comme l’étrange impression de se trouver à côté d’un énorme corps qui inspirait et expirait, mais il ne distinguait rien. Cependant, une peur instinctive l’empêcha de se retourner immédiatement. Tâtant l’air derrière lui de sa main, il rencontra une surface qui n’avait que peu de ressemblance avec la pierre. C’était vivant, écailleux, et cela bougeait doucement. Tournant un peu le buste de biais, il vit ce qu’il était en train de toucher ; du moins entraperçut-il l’ombre d’un large dos hérissé de membranes qui se soulevaient et s’abaissaient. Et soudain, une tête sans cou surmontée d’une crête se leva.

 

Alexandre sursauta et s’écarta de la paroi en se saisissant de nouveau de sa lourde épée. Au moment où il se mettait en position, ses compagnons à ses côtés, la chose ― quelle qu’elle soit â€• commença à se manifester. Au départ, les Gardiens des Gemmes ne virent qu’une forme trouble, déformant la muraille de l’arche dans l’ombre de laquelle ils se tenaient. Des petits cailloux volèrent alors en l’air pour disparaître dans la mare. Un grognement sourd se fit entendre, mais d’où il venait, personne ne pouvait encore en être certain. Amber les rejoignit, la dague au poing.

 

― Il est là, j’en suis sûre !

 

— Mais où ?! s’insurgea Krysos, ne sachant où regarder.

 

Alexandre plongea son épée en avant, dans l’espace le séparant de la paroi. Un feulement lui répondit, et il retira sa lame souillée d’un peu de sang. Il n’eut pas le temps de s’interroger sur ce phénomène que l’aya apparaissait enfin.

 

Il se matérialisa littéralement devant eux, émergeant de l’ombre de la roche, perdant petit à petit les couleurs de son environnement qui lui faisaient un camouflage naturel. L’effet avait été si réaliste, l’illusion de vide si parfaite que la masse de la créature parut absolument incongrue dans l’espace exigu qu’elle occupait. Elle ressemblait à un drakone, mais ne possédait pas d’ailes. Ses courtes pattes le faisaient ramper sur le sol, mais elles étaient armées de griffes aussi épaisses que l’épée de Krysos. Sa tête sans cou, à la grande crête rouge, pivotait rapidement, et ses yeux, globuleux et écarlates, roulaient en tous sens dans ses orbites, sans ciller. Sa lourde queue devait faire la même circonférence que le tronc d’un vieux chêne.

 

Elle darda vers les Gardiens des Gemmes une langue longue et fine, fourchue à l’extrémité, comme celle d’un serpent. Elle rugit et, constatant que son camouflage s’effritait, commença à gravir la paroi, espérant disparaître de leur vue. Mais les aventuriers ne l’entendaient pas ainsi. Ayant jaugé l’apparence et la force présumée de leur adversaire, chacun se sentait bien décidé à se battre.[...]"

bottom of page